[Making Of] La pochette de l’album « Fuyü Kükan » de Tomoko Aran.

Les pochettes d’albums des années 80 sont parmi les meilleures en termes d’image et de créativité. La City-Pop ne fait pas exception. De Tatsuro Yamashita à ANRI, Toshiki Kadomatsu, Miki Matsubara… et à peu près tous les artistes affiliés à la City-pop/J-pop.

Une pochette se démarque plus que les autres, c’est Fuyü Kükan de Tomoko Aran. L’arrière-plan semble hors du temps, car il est effectivement différent des autres albums city-pop, qui présentent la plupart du temps l’artiste comme un mannequin, soit en extérieur, soit en studio avec un fond d’écran clair.

Décor studio ou Image de synthèse ?

En regardant la pochette de l’album, il peut être difficile de déterminer s’il s’agit d’un décor de studio ou s’il s’agit d’une image de synthèse (CGI = Computer Generated Image). De plus, en 1983, les ordinateurs n’étaient pas très puissants. Mais la réponse définitive nous est donnée dans ce document :

Je ne saurais dire d’où vient exactement ce document, cela semble être un magazine, mais cela peut aussi provenir d’une brochure promotionnelle. On y voit bien la mention “Computer Graphic” en deuxième page, ainsi que les prises de vues originales du studio réalisées sur un aplat de couleur. Alors oui, c’est bien un ordinateur d’environ 1983 qui a fait l’affaire. Mais ce n’est pas un ordinateur domestique ordinaire qui l’a fait. Pour se faire une idée, 1983 c’est l’ère du IBM-PC, et du Minitel chez nous en France ! 1Et 983, c’est un an avant 1984 et le 1er Macintosh !

Le batteur Munetaka Higuchi (Loudness) y a également eu recourt

Si vous vous demandez qui est l’autre artiste de ce document, nous avons fait la recherche pour vous ! Il s’agit de Munetaka Higuchi (樋口宗孝), célèbre pour avoir joué pour le groupe groupe Heavy/J-rock Loudness. L’album est issu de sa carrière solo et s’appelle “Destruction” (ディストラクション). Malheureusement, Munetaka Higuchi est décédé en 2008.

L’art semble représenter un temple cambodgien (à côté d’un court de tennis intérieur). . L’album complet peut être écouté ici.

Les superordinateurs dans les années 70 et 80

Les superordinateurs (également appelés “supercalculateurs”) sont des ordinateurs conçus pour atteindre les performances les plus élevées possibles avec les techniques connues lors de leur conception. Les supercalculateurs ont des années d’avance sur leur temps. Prenons par exemple le fameux Cray-1

Cray-1 au Computer Museum of America (Crédit : Wikimedia Commons)

Le Cray-1 est sorti en 1975. Son CPU est de 80Mhz. En gros, c’est l’équivalent d’un PC domestique moderne d’environ 1995 (d’autres paramètres entrent en jeu, mais restons-en là pour plus de simplicité).

En 1982, son successeur, le Cray X-MP est sorti. C’est 4x ~110Mhz, donc c’est (environ) l’équivalent d’un Pentium 3 450 Mhz, un PC moderne d’environ 2000.

Final Fantasy IX pourrait théoriquement tourner sur cet ordinateur ! (Crédit : Wikimedia Commons)

Si on devait comparer avec des jeux-vidéo, 2000 est l’ère des jeux comme “Les Sims”, “Diablo 2”, “No One Lives Forever”, “Jet Set Radio” et “Quake 3”. Mais nous ne parlons pas ici de 3D temps réel, mais plutôt de 2D. Et un ordinateur de cette époque était tout à fait capable de générer une image 2D haut de gamme. En voyant l’album Fuyü-Kükan, tout prend sens.

Les supercalculateurs au Japon en 1982/1983

Le Japon avait ses propres recherches et technologies. Comme l’Allemagne, privée d’armée et de recherche militaire, il est naturel que tous leurs efforts se soient concentrés sur la technologie non militaire. On connaît tous les Walkmans, les voitures japonaises, et les grandes marques comme Fujitsu, Canon, Mitsubishi, Yamaha, Akai, etc…

Les supercalculateurs ne sont pas en reste, et de plus, ils sont souvent une référence de la puissance d’un pays. Fujitsu et Hitachi ont commencé à fabriquer des supercalculateurs en 1977 et 1978, et en 1982, Fujitsu, Hitachi et NEC ont annoncé de nouveaux supercalculateurs. Ils avaient à peu près la même puissance que le Cray X-MP.

Hitachi HITAC S-810/20 (Credit : information processing society of japan)

Alors, quel ordinateur a été utilisé pour générer la pochette de l’album Fuyü-Kükan ? C’est difficile à dire. Ce n’est peut-être aucun d’entre eux.

Midnight pretenders

Un autre supercalculateur qui pourrait convenir est le LINKS-1 d’Osaka.

Seule photo que nous avons trouvée ! Système de refroidissement primitif… (Credits: Information Processing Society of Japan)

Sur le site du musée de l’IPSJ on peut lire :

LINKS-1 était un prototype de système de micro-ordinateurs multiples pour l’infographie construit par un groupe composé des professeurs Ohmura Kouichi, Shirakawa Isao et Kawata Toru et d’un total de 50 étudiants de l’École d’ingénierie de l’Université d’Osaka. Une fois le système terminé fin octobre 1982, il a été utilisé dans la production de nombreuses vidéos très réalistes.

Une image générée par le LINKS-1
(Taken from T. Kawata, I. Shirakawa, and K. Ohmura, “A Multiple Microcomputer System for Computer Graphics”)

Bien qu’il soit censé faire de la vidéo et de la 3D, il peut également être utilisé pour la création 2D statique (qui ressemble en fait à un arrière-plan en 3D). À moins d’avoir une preuve, nous ne pouvons pas être sûrs à 100 % si c’est cet ordinateur qui a été utilisé. Mais une théorie valable, c’est que les étudiants sont souvent très intéressés par l’art moderne, comme l’était la city-pop dans les années 80.

Bien avant la Nvidia 1080 RTX, LINKS-1 faisait déjà du Ray-Tracing ! (Credits: Information Processing Society of Japan)

Comment nous (AFTER 5) avons-nous fait ?

De nos jours, en 2023, nous avons des ordinateurs puissants et des programmes puissants. Il n’a pas été difficile de trouver quelqu’un avec des compétences Photoshop pour faire le travail. Nous avons contacté une trentaine de freelances sur des sites comme Fiverr ou ComeUp. Certains n’étaient pas disponibles, certains ne se sentaient pas assez compétents, mais certains ont répondu, et au final, nous avons travaillé avec 3 d’entre eux.

Mais avant même de contacter qui que ce soit, nous avons fait une séance photo. L’accessoire important ici est la machine à écrire rouge. Nous avons facilement trouvé une machine à écrire d’occasion pour environ 40€ (En fait, si vous regardez à nouveau la photo originale de Tomoko Aran, vous pouvez voir que sa machine à écrire n’est pas rouge, mais plutôt blanche/grise !) Pour le shooting, nous avons utilisé un fond vert :

tomoko Aran Fuyu Kukan original picture imitated by AFTER 5 green screen — Photo originale

Maintenant, le freelance a utilisé l’image de Fuyü Kükan pour améliorer la résolution, a supprimé un peu Tomoko Aran pour garder le fond, puis a ajouté notre chanteuse, et voilà !

C’est incroyable de voir à quel point la technologie a tellement évolué en 40 ans. Nous aimerions en savoir plus sur les coulisses de la pochette de l’album, alors, contactez-nous sur les réseaux sociaux si vous avez des informations !

Vous pouvez écouter la version de AFTER 5 – I’m in love ici :